« J’avais vu un documentaire à la télévision. Je m’étais dit que ces virus mangeurs de bactéries pouvaient m’aider », raconte-t-elle. Cette sexagénaire dynamique au caractère affirmé se bat contre la maladie depuis de nombreuses années. Mais depuis un an, il semble qu’elle ait droit au répit.
Ses ennuis de santé remontent à 1979. Cette année-là, une grosseur sur la cuisse se forme et devient rapidement sensible. Le diagnostic tombe : il s’agit d’un myélosarcome, c’est-à-dire un cancer au niveau de la cuisse droite. Elle est opérée et la zone est traitée par radiothérapie.
Les années passent et Colette vit presque normalement. Elle élève ses deux filles, fait du sport seule et avec son mari, travaille normalement. Elle brode les fanions, drapeaux et autres bannières des compagnies de l’armée française.
Active et enjouée, elle en vient presque à oublier ce cancer qui a fragilisé son fémur si ce n’est cette ostéite chronique qui se manifeste à partir de 1983 par des fistules cutanées accompagnées de douleurs osseuses. Dès lors, l’infection de l’os devenue chronique ne la quittera plus.
En 1993, une chute à vélo provoque la fracture du fémur malade. Les chirurgiens orthopédistes décident de poser un clou centromédullaire pour consolider un os qui a été irradié. L’intervention se déroule dans des conditions difficiles.
Mais, en 2012, sa cuisse la fait souffrir à nouveau. Une nouvelle infection enflamme l’os. Les chirurgiens enlèvent alors le clou et prescrivent des antibiotiques. Les mois passent et l’infection perdure. Scanner et IRM permettent de visualiser l’étendue des lésions.
De 2013 à 2020, elle suit des traitements médico-chirurgicaux : excision des tissus infectés, antibiothérapies, greffes de peau etc. « En 2017, je tombe une nouvelle fois à vélo et l’on remet un clou pour maintenir le fémur à la hanche. À ce moment-là, j’ai de fortes douleurs, de la fièvre, envie de vomir… »
L’année suivante, le diagnostic bactériologique révèle la présence de staphylocoques dorés dans la cuisse et au niveau du fémur. « Mon infectiologue du centre hospitalier de Valence me propose alors un traitement par oxygénothérapie au centre de médecine hyperbare aux Hospices Civils de Lyon. »
Quarante séances d’1h45 sont prescrites à la patiente de Tournon. Malheureusement, la bactérie déjoue aussi bien les antibiotiques que l’oxygénothérapie. De plus, il n’est pas question d’enlever le clou implanté au risque de ne plus pouvoir marcher.
Un traitement ou je pars !
Lasse de suivre des traitements devenus impuissants contre les germes, Colette décide de s’envoler pour la Géorgie (1) : « J’avais vu des reportages dont un sur Arte avec le Pr Tristan Ferry, infectiologue à l’hôpital de la Croix-Rousse. J’étais prête à partir. Ça suffisait comme ça. »
Mais Colette n’aura pas besoin de faire ses valises. En juin 2020, elle est adressée par son infectiologue de Valence à la Croix-Rousse dans le service des maladies infectieuses et tropicales qui héberge le centre de référence des infections ostéo-articulaires complexes (CRIOAc). Une ponction est réalisée afin de démontrer la persistance du staphylocoque doré en vue de la sélection des bons bactériophages. Et le 2 juillet, les médecins lui injectent sous échographie ces virus tueurs de bactéries purifiés par la société Pherecydes Pharma.
« Avec le Pr Ferry, je me sens bien encadrée. Il répond à mes questions et je sais que je peux compter sur lui. J’ai conscience que je m’inscris dans un suivi à long terme. » De son côté, l’infectiologue de l’hôpital de la Croix-Rousse souligne : « On peut être satisfait de constater que l’infection est désormais sous contrôle grâce au traitement combiné par antibiothérapie et par phagothérapie localisée. »
Sa patiente compte parmi les 26 patients traités uniquement dans un cadre compassionnel sous la supervision de l’ANSM avec les rares phages disponibles en France. Pour l’heure, ce type de traitement n’est proposé qu’en dernier recours, dans des situations jugées comme exceptionnelles (2).
Colette a pu conserver sa jambe. « Depuis un an maintenant, je n’ai plus de récidive ! », déclare-t-elle, « je peux continuer à faire des randonnées. Il arrive que ma jambe se bloque puis ça repart. » Après 10 jours de vacances en Normandie, elle commente dans un sourire : « J’ai pu marcher au sommet des falaises. C’est joli mais un peu plat… »
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Lire : La phagothérapie : la renaissance d’un vieux traitement ? Patricia Thelliez, 2 janvier 2020, Vidal.fr
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Afin de rendre accessible à court et moyen terme ce traitement aux patients des HCL, vous pouvez soutenir le projet PHAGEinLYON via la Fondation HCL.
La multirésistance aux antibiotiques, problème de santé publique
Aujourd’hui en France, le renouveau de la phagothérapie est confronté à un contexte réglementaire contraignant et l’absence d’un modèle économique fiable. La mise en place d’un cadre de recherche et juridique adapté permettra aux équipes académiques, médicales et industrielles de relancer la phagothérapie en France et en Europe, notamment pour les infections récidivantes telles que les infections ostéo-articulaires complexes. De plus, les bactéries étant de plus en plus résistantes, - on estime à 33 000 le nombre de décès dus à des bactéries résistantes aux antibiotiques en Europe -, le Gouvernement prévoit d’investir 40 millions d’euros sur dix ans afin de combattre l’antibiorésistance. Huit projets de recherche ont été retenus, dont Phag-One à hauteur de 2,85 millions d’euros, porté par les professeurs Frédéric Laurent, chef de service à l’Institut des agents infectieux (IAI) et Tristan Ferry, chef adjoint du service des maladies infectieuses et tropicales (MIT) à l’hôpital de la Croix-Rousse. Leur ambition est de proposer une alternative aux antibiotiques par la phagothérapie, complémentaire de celle des industriels, ou l’exploitation des capacités naturelles de certains virus bactériophages à détruire les bactéries. À terme, l’objectif est de créer un établissement français du phage (du grec phagein, manger) pour traiter les patients en impasse thérapeutique. Pour en savoir plus : la phagothérapie. |